Les conséquences distributionnelles du bitcoin

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Résumé et contrepoints sur le document « The distributional consequences of Bitcoin » (Bindseil & Schaaf, 2024), inspiré par la vidéo « 🔥 L’Europe Capitule Face à BITCOIN ! ».


🔗Contexte et objectif

Le document analyse les conséquences distributives d’un scénario dans lequel le prix du Bitcoin continue d’augmenter durablement. Contrairement à la promesse initiale de Satoshi Nakamoto (2008) de créer un meilleur moyen de paiement mondial, Bitcoin est aujourd’hui principalement considéré comme un actif d’investissement spéculatif. Les auteurs s’intéressent à l’impact macro-économique et redistributif d’un scénario “positif” pour Bitcoin, c’est-à-dire une hausse continue des prix.

Contrepoint :
Il est inexact de prétendre que la promesse de Nakamoto ne s’est pas réalisée car Bitcoin a déjà révolutionné la notion de monnaie numérique indépendante et offre une alternative aux systèmes centralisés.
Même si l’usage comme moyen de paiement universel progresse lentement, le rôle de réserve de valeur (« store of value ») et de protection contre la dévaluation monétaire mondiale est au cœur de l’innovation Bitcoin. L’investissement spéculatif n’est pas une dérive, mais une étape dans l’adoption d’une technologie de rupture. L’effet réseau et la volatilité sont typiques des débuts d’une nouvelle classe d’actif.

🔗Bitcoin : usage, valorisation et vision d’investissement

  • Usage réel limité : Bitcoin n’a jamais été adopté de manière significative pour les paiements légaux, même dans des pays l’ayant reconnu comme monnaie officielle (ex. : Salvador).

Contrepoint :
L’adoption d’une nouvelle monnaie prend du temps, surtout face à la concurrence des monnaies nationales, à la réglementation et à la méfiance institutionnelle.
L’exemple du Salvador est caricatural : l’infrastructure, l’éducation et la résistance politique sont des freins, mais la possibilité technique existe et la progression est réelle, notamment pour les transferts internationaux et dans les pays sous-bancarisés. En outre, Bitcoin est déjà utilisé pour contourner la censure financière et protéger la vie privée, ce qui constitue un cas d’usage fondamental.

  • Valorisation problématique : Contrairement aux actifs traditionnels (actions, obligations, immobilier), Bitcoin ne génère aucun flux de revenus, ce qui empêche toute valorisation “fondamentale”.

Contrepoint :
L’absence de flux monétaire n’empêche pas la valeur, comme le montre l’or depuis des millénaires.
Bitcoin tire sa valeur de la sécurité du réseau BTC, de sa rareté absolue (21 millions d’unités), de sa portabilité et de son caractère inaltérable. Les modèles de valorisation traditionnels sont inadaptés à un actif monétaire émergent. La demande pour un actif apolitique et non inflationniste justifie une « prime monétaire » indépendante d’un cash-flow.

  • Narratif d’investissement : De plus en plus de figures publiques et d’investisseurs (Larry Fink, Cathie Wood, Michael Saylor…) défendent Bitcoin comme un “or numérique”, en misant sur la rareté de son offre et une demande croissante, mais sans lien avec une utilité économique réelle.

Contrepoint :
L’utilité économique de Bitcoin dépasse la simple spéculation : il offre une protection contre la confiscation, l’hyperinflation et permet des transferts internationaux sans intermédiaire.
La comparaison avec l’or est pertinente, mais Bitcoin surpasse l’or sur la divisibilité, la transportabilité et la transparence. De plus, la demande institutionnelle croissante montre que des acteurs sophistiqués voient une utilité macroéconomique et stratégique à détenir du Bitcoin.

🔗Implications macro-économiques des bulles d’actifs

  • Les auteurs distinguent des cas où la hausse de la valeur d’un actif accompagne une hausse de la productivité (innovation technologique), de ceux où elle ne reflète qu’une bulle spéculative.

Contrepoint :
L’innovation n’est pas toujours mesurable par la productivité immédiate.
Bitcoin innove en matière de confiance, de souveraineté monétaire et de sécurité numérique, autant de facteurs qui n’entrent pas directement dans les statistiques classiques de productivité mais ont un impact sociétal profond. L’analogie avec une bulle néglige la création d’un nouvel écosystème économique mondial.

  • Dans le cas du Bitcoin, la hausse de valeur ne s’accompagne d’aucune augmentation du potentiel de production de l’économie : il s’agit donc d’une création de “richesse” qui ne correspond à aucune création de richesse réelle.

Contrepoint :
Le “potentiel de production” économique n’est pas le seul critère de progrès.
Bitcoin améliore l’accès global à la réserve de valeur, réduit les coûts de transfert internationaux, sécurise l’épargne contre les risques souverains et stimule le développement de services financiers alternatifs (DeFi, Lightning Network, etc.). Ces effets sont réels, même s’ils ne se traduisent pas dans le PIB traditionnel.

  • Les banques centrales, dans un tel scénario, pourraient limiter l’effet inflationniste en durcissant leur politique monétaire, mais cela ne compense pas l’aspect redistributif.

Contrepoint :
L’effet inflationniste est une conséquence de l’impression monétaire et non de Bitcoin.
Bitcoin agit comme un thermomètre, révélant la perte de pouvoir d’achat des monnaies fiat, et offre une alternative qui incite les banques centrales à plus de discipline. Par ailleurs, la redistribution liée au Bitcoin est volontaire : personne n’est contraint d’acheter ou de vendre.

🔗Conséquences distributives d’un Bitcoin haussier

  • Effet d’enrichissement : Les premiers détenteurs (“early birds”) bénéficient pleinement de la hausse du prix, qu’ils vendent progressivement à des “latecomers” (acheteurs tardifs).

Contrepoint :
Tout actif émergent fonctionne ainsi : les risques initiaux sont récompensés. Les “early birds” ont encouru d’immenses risques technologiques, juridiques et réputationnels.
Par ailleurs, la distribution de Bitcoin est plus large et transparente que l’émission monétaire classique, qui bénéficie souvent aux plus proches des banques centrales (“Cantillon Effect”).

  • Effet de paupérisation : Cette consommation accrue des premiers détenteurs s’effectue nécessairement au détriment du reste de la société, qui voit sa propre consommation ou son épargne comprimée, car la “richesse” créée par Bitcoin n’augmente pas la production réelle.

Contrepoint :
Il n’y a pas de “somme nulle” : la hausse de Bitcoin résulte d’un transfert volontaire d’épargne vers un actif jugé plus sûr ou prometteur.
Ceux qui choisissent de ne pas participer ne sont pas appauvris, à moins que leur monnaie ne se dévalue, ce qui est le fait des politiques monétaires inflationnistes. Bitcoin offre une protection contre cette dévaluation.

  • Simulation : Un modèle simple montre que, même sans bulle qui éclate, la hausse continue du prix du Bitcoin engendre un transfert de richesse durable des nouveaux entrants et des non-détenteurs vers les premiers investisseurs.

Contrepoint :
Les modèles sont réducteurs : la réalité est que l’adoption crée de la valeur pour tous les utilisateurs, comme pour toute technologie de réseau.
De plus, la distribution de Bitcoin s’élargit avec le temps, et l’incitation à participer tôt récompense l’esprit d’initiative. Les “latecomers” bénéficient d’un réseau plus sûr, plus liquide et d’un usage facilité.

  • Impact sur la cohésion sociale : Ces effets redistributifs sont susceptibles d’accroître les inégalités et la division sociale, sans bénéfice économique global.

Contrepoint :
Bitcoin donne à chacun, sans discrimination, la possibilité d’accéder à un système financier ouvert et neutre.
Il réduit la dépendance vis-à-vis des États défaillants et favorise l’autonomie individuelle. Les inégalités viennent souvent de la capacité à accéder à l’information et à prendre des risques : Bitcoin démocratise cet accès.

🔗Rôle de la politique et des régulateurs

  • Le destin du Bitcoin dépend fortement du contexte politique et réglementaire : autorisation d’ETF, reconnaissance légale, lobbying intense de l’industrie crypto, poids dans les débats électoraux américains.

Contrepoint :
Malgré les incertitudes réglementaires, Bitcoin a résisté à toutes les tentatives d’entrave depuis 15 ans.
Son caractère décentralisé garantit sa résilience. L’intérêt des institutions et des politiques montre la maturité du secteur. L’émergence d’un débat démocratique autour de Bitcoin est une preuve de sa pertinence, pas une faiblesse.

  • Les auteurs soulignent que les politiques pro-Bitcoin favorisent la redistribution au profit des premiers entrants, au détriment des non-détenteurs et des entrants tardifs.

Contrepoint :
Au contraire, les politiques pro-Bitcoin favorisent l’inclusion financière, la concurrence et la liberté individuelle. Ceux qui s’informent et agissent tôt sont justement récompensés ; ceux qui retardent ou refusent l’adoption peuvent encore participer à tout moment, à parts égales, sans barrière d’entrée. La redistribution monétaire classique, elle, est opaque et favorise les insiders du système.

🔗Conclusion

  • Même dans un scénario où la bulle Bitcoin ne “crève” jamais, la hausse continue du prix engendre inévitablement une redistribution de richesse et de pouvoir d’achat au profit des premiers détenteurs, au détriment du reste de la société, sans création de valeur économique.

Contrepoint :
La création de valeur économique ne se limite pas à la production matérielle : Bitcoin crée de la valeur en sécurisant l’épargne, en donnant accès à la liberté monétaire et en stimulant l’innovation financière. Les premiers détenteurs ont pris des risques importants et ont contribué à construire un écosystème mondial ; leur récompense n’est pas une injustice, mais la conséquence naturelle d’une innovation radicale.

  • Les promoteurs de Bitcoin comme investissement négligent ou masquent cet effet redistributif.

Contrepoint :
L’effet redistributif est inhérent à toute innovation (internet, mobile, etc.) et n’est ni caché ni immoral. Il incite à la prise de risque, à la curiosité et à l’auto-éducation. Ce sont des vertus, pas des vices.

  • Selon les auteurs, ce phénomène risque de fragiliser la cohésion sociale et la démocratie si les politiques ne prennent pas en compte la nature fondamentalement redistributive de la hausse du prix du Bitcoin.

Contrepoint :
Bitcoin est un outil d’émancipation et de cohésion, surtout dans les contextes de répression financière, d’hyperinflation ou d’instabilité politique. Il permet à chacun de participer à un système équitable, ouvert, sans discrimination d’origine, de genre ou de statut. Il renforce la démocratie en réduisant le pouvoir des États sur la monnaie.