Gaël Giraud : il n’y a pas de crise de la dette publique en Europe.

Cet article est une retranscription de l’interview de Gaël Giraud sur la chaîne Youtube de Blast.

Modèles macro-climat – impossibilité du scénario RCP 8.5

Gaël Giraud explique que les modèles développés avec son équipe couplent :

  • dynamique macroéconomique ;
  • climat ;
  • ressources naturelles.

Ils montrent que le scénario pessimiste du GIEC (RCP 8.5, +4/+5°C) n’est physiquement plus atteignable, car les dégâts économiques dus au réchauffement réduisent la capacité à émettre du CO₂. Autrement dit, l’économie mondiale serait trop affaiblie pour soutenir les niveaux d’émissions nécessaires à ce scénario.

Néolibéralisme : destruction des trois piliers des Lumières

Giraud résume que le néolibéralisme s’emploie à détruire :

  1. L’autonomie politique c’est à dire le pouvoir fondé sur la délibération (on coupe la tête du roi donc le pouvoir est vacant).
  2. L’égalité devant la loi.
  3. La propriété privée, comprise dans son sens politique-libéral historique.

Il affirme que nous avons remplacé le « corps du roi » par le marché financier, devenu un juge extérieur qui impose ses décisions aux États via la dette publique.

Rôle de Giraud dans le débat public

Il ne participe à aucun parti, en raison de son statut de jésuite. Il est sollicité par certains responsables politiques, notamment pour expliquer qu’il n’y a pas de crise de la dette publique en Europe, contrairement au discours dominant.

Politique monétaire et budgétaire : impossibilité de séparation

Pourquoi les séparer est une erreur technique

Giraud explique que :

  • la quantité de monnaie influence toute l’économie, pas seulement l’inflation ;
  • la BCE n’a pour mandat que l’inflation, alors qu’elle contrôle la masse monétaire ;
  • séparer politique monétaire (BCE) et politique budgétaire (États) « n’a strictement aucun sens macroéconomique ».

Il préconise donc de soumettre la BCE à un pouvoir politique démocratique, capable de coordonner budget et monnaie.

Le “Draghi trick”

Giraud rappelle que Mario Draghi a mis en place en 2012 puis 2015 un mécanisme permettant la BCE de racheter à volonté la dette publique pour stabiliser l’euro.
Il affirme que :

la BCE peut réactiver ce mécanisme immédiatement si les marchés spéculent sur la dette d’un pays comme la France, cela élimine toute raison de paniquer.

Propriété et gouvernance opaque de la BCE

  • elle appartient aux États de la zone euro, proportionnellement à leur PIB ;
  • les délibérations internes sont secrètes ;
  • l’indépendance de la BCE est présentée comme un dogme, mais produit une dissociation injustifiée des politiques économiques.

La dette publique : corrections techniques apportées par Giraud

Critique fondamentale : on divise un stock par un flux

Le ratio dette / PIB n’a aucun sens, car La dette est un stock, c’est à dire une valeur mesurée à un instant, alors que le PIB est un flux c’est à dire la somme des valeurs ajoutées pendant une année.
Comparer les deux revient à comparer le niveau d’un lac (stock) au débit d’une rivière (flux).

Le ratio pertinent : flux / flux

Il affirme que le seul ratio techniquement significatif est :
(Intérêts annuels payés par l’État) / (Recettes publiques annuelles)

Le capital de la dette n’est presque jamais remboursé  car l’État « refinance » la dette en empruntant de la main droite ce qu’il rembourse de la main gauche donc le nominal reste constant ; ce qui change réellement est le coût du service de la dette (intérêts).

Rôle des banques dans la dette : création ex nihilo

Il précise que les banques créent la monnaie à partir de rien lorsqu’elles prêtent et quand l’État rembourse, la monnaie est détruite et souligne que 75 % de l’épargne des ménages n’est pas mobilisée pour financer la dette, contrairement au discours courant.

Conclusion factuelle :

  • La dette publique n’est pas remboursée en capital, elle est “roulée”.
  • L’enjeu est la charge d’intérêts qui est dépendante des taux.

Pourquoi la BCE peut arrêter les rachats puis les reprendre

La BCE détient plus de 1000 milliards d’euros de dette publique de la zone euro (rachats 2015–2024).
Elle peut invoquer comme justification “officielle” pour arrêter :

  • la taille de son bilan ;
  • le fait que ce n’est pas son rôle traditionnel d’être créancière de ses actionnaires.

Mais Giraud répète qu’elle peut reprendre immédiatement le programme.

Risque systémique : retrait des assureurs

Selon Giraud, un événement majeur mais peu commenté a eu lieu : les grandes compagnies d’assurance se retirent de la couverture des catastrophes climatiques extrêmes.

Cela a trois implications techniques :

  1. hausse du coût de l’assurance ;
  2. hausse du risque non couvert ;
  3. fragilisation des marchés financiers exposés aux catastrophes naturelles.

Risque bancaire systémique : actifs fossiles ≈ fonds propres

Structure des bilans

Il indique que les banques européennes possèdent des actifs financiers fossiles (créances liées au pétrole/gaz/charbon) représentant 95 % de leurs fonds propres.

Effet de la transition

Si la société arrête de brûler les fossiles les hydrocarbures valent 0 donc les actifs financiers liés aux hydrocarbures valent 0 donc les banques perdent presque tous leurs fonds propres donc elles font faillite.

Mécanique

Si un actif de 100 M€ tombe à 0, les fonds propres doivent absorber 100 M€ et si les pertes sont supérieures aux fonds propres, il y a faillite.

Réserves de change en dollars : pourquoi ?

Besoin d’une réserve liquide et universelle

Les banques centrales accumulent des actifs en dollars (bons du Trésor US à 6–12 mois) pour disposer de réserves liquidables instantanément et être capables de défendre leur devise en cas d’attaque.

Défense de la monnaie

Si l’euro chute massivement (ex. panique de marché) la BCE doit rachèter des euros en vendant ses actifs en dollars mais pour cela elle doit détenir des dollars.

Pressions américaines

Il évoque que les États-Unis pourraient imposer à l’Europe l’achat de dettes perpétuelles qui ne seront jamais remboursées mais avec un intérêts éternels.

Crises récentes : effets sur la psychologie collective

G. Giraud mentionne que :

  • la pandémie COVID a créé une peur nouvelle du corps de l’autre ;
  • la guerre en Ukraine a réintroduit la guerre en Europe ;
  • le retrait des assureurs est nouveau facteur d’instabilité.

Ces phénomènes combinés produisent une “dislocation psychologique”.

Société civile française et italienne

Il souligne la puissance de la société civile italienne (manifestations massives) et française (gilets jaunes), qui compensent la faiblesse des partis.

Anthropocène et reféodalisation

La notion d’Anthropocène désigne une nouvelle époque géologique, caractérisée par l’impact significatif et global de l’activité humaine sur la planète.

Le journal Suisse de sociologie explique que dans de nombreuses sociétés modernes, une transformation sociale est en cours, établissant des privilèges « néo-féodaux » pour les classes fortunées, tandis que les couches inférieures sont confrontées à l’exclusion et au retour du travail forcé.

Débat sur la date de début

Trois hypothèses sur la date du début de l’anthropocène sont détaillées :

  • agriculture il y a 13 000 ans,
  • révolution industrielle (fin XVIIIe),
  • 1945 (décollage des courbes d’extraction, pétrole, consommation de masse).

Reféodalisation du monde

Selon Alain Supiot on assiste à une destruction progressive de l’État de droit ([la reféodalisation des institutions](la reféodalisation des institutions)) qui s’accompagne d’un retour à des logiques de vassalité moyennageuse où la sécurités est remplacées par une dépendance individuelle.

Origine guerrière du PIB & limites méthodologiques

le PIB mesure tout… sauf ce qui fait que la vie vaut d’être vécue – Robert Kennedy en 1968

Genèse du PIB

Le PIB, piètre indicateur du bien-être

Le PIB a été inventé dans les années 30–40 pour mesurer la capacité industrielle d’un pays et donc sa capacité à faire la guerre.
Les activités non productives pour la guerre n’ont pas été comptées :

  • le travail domestique, majoritairement féminin ;
  • le bien être de la population et son sentiment de bonheur ;
  • le niveau d’éducation ;
  • l’espérance de vie ;
  • la mortalité infantile ;
  • l’impact écologique souvent désastreux dans les pays à fort PIB ;
  • le revenu national net ;
  • la distribution des richesses souvent très inégale dans les pays à fort PIB ;
  • etc…

D’autres alternatives plus proche de la richesse réel d’un pays que le PIB existent. Citons :

  • Le « Better Life Index ».
    Le Better Life Index vous permet de visualiser et de résumer en un seul coup d’œil les facteurs clés de bien-être qui comptent le plus pour vous. Il s’agit d’un outil interactif qui vous permet de voir les performances des pays en fonction de l’importance que vous accordez à chacun des principaux indicateurs du bien-être actuel présentés dans le Cadre de l’OCDE sur le bien-être.
  • Les indicateurs de développement du PNUD.
  • Jean Gadrey qui expose Les nouveaux indicateurs de richesse.

Problème technique majeur : la mesure du PIB réel

Pour obtenir le PIB réel on soustrait l’inflation du PIB nominal.

Mais cela suppose que les prix relatifs ne changent pas et l’inflation est un niveau général moyen d’augmentation des prix alors qu’il y a une déformation de plein de prix relatifs entre eux :

  • les bulles immobilières massives changent complètement les prix de l’immobilier ;
  • les salaires qui stagnent ou n’augmentent pas tous à la même vitesse ;
  • d’autres prix évoluant à des vitesses différentes.

Ainsi, si on regarde uniquement le niveau général d’inflation, on regarde une grosse moyenne qui ne permet pas du tout d’appréhender la déformation des prix entre eux.
Cela signifie que le PIB réel calculé est un artefact statistique, car il repose sur un “gâteau” hypothétique où les prix resteraient proportionnels comme en 2020.

Transition énergétique, Trump et rapports de force

G. Giraud cite des travaux indiquant que la décarbonation de l’UE d’ici 2050 coûterait 2,3 % du PIB par an, moins cher que le réarmement ou l’inaction qui, elle, coûterait beaucoup plus cher.

Il explique aussi que Trump nie le changement climatique et utilise les tarifs douaniers comme moyen de pression afin de maintenir l’hégémonie du dollar.

L’Europe doit répondre par des contre-mesures et apprendre à parler d’une seule voix.

Fermeture du champ politique

Il évoque :

  • la montée du RN,
  • la poussée de l’extrême centre néolibéral,
  • l’éloignement d’une démocratie énergétique participative[^1] qui semblait plus atteignable entre 2016 et 2019.

Pour G. Giraud il y a deux moyens pour nos sociétés de développer :

  1. Soit on passe à une démocratie énergétique participative qui se concrétise par l’implication directe des citoyens dans la prise de décision concernant les politiques énergétiques, notamment à travers des projets d’énergie renouvelable portés, maîtrisés et financés par des particuliers, des collectivités territoriales ou des associations.
  2. Soit on choisit des États autoritaires qui s’appuient sur des fonds privés, des compagnies d’assurance, etc.

Pour ce qui est de la France, on semble avoir choisi la deuxième voie, c’est-à-dire un État autoritaire avec des fonds privés où tout est fabriqué pour les favoriser.
On voit par exemple la montée du RN et des néolibéraux de l’extrême centre, ce qui ressemble fort à ce que Johann Chapoutot explique sur l’avènement du nazisme.