États-Unis d'Europe, l'UE a été créé par la CIA

Cet article est disponible en anglais.
Cet article a été écrit par Ambrose Evans-Pritchard le 27 avril
2016 et publié sur
benwilliamslibrary.com.
Des documents déclassifiés du gouvernement américain montrent que la communauté du renseignement des États-Unis a mené, dans les années 1950 et 1960, une campagne pour favoriser l’unification européenne. Elle a financé et dirigé le mouvement fédéraliste européen.
Les documents confirment les soupçons exprimés à l’époque selon lesquels l’Amérique agissait agressivement en coulisses pour pousser le Royaume-Uni à rejoindre un État européen. Un mémorandum, daté du 26 juillet 1950, donne des instructions pour une campagne en faveur d’un véritable parlement européen. Il est signé par le général William J Donovan, chef de l’Office des services stratégiques américain pendant la guerre, précurseur de la CIA.
Les documents ont été découverts par Joshua Paul, chercheur à l’Université de Georgetown à Washington. Ils comprennent des fichiers publiés par les Archives nationales américaines. Le principal outil de Washington pour façonner l’agenda européen était l’American Committee for a United Europe, créé en 1948[1], le président était Donovan, alors officiellement avocat privé.
Le vice-président était Allen Dulles, directeur de la CIA dans les années 1950. Le conseil comprenait Walter Bedell Smith, premier directeur de la CIA, ainsi qu’une liste d’anciens membres de l’OSS et de responsables ayant fait des allers-retours avec la CIA. Les documents montrent que l’ACUE finançait le Mouvement européen, la plus importante organisation fédéraliste de l’après-guerre. En 1958, par exemple, il fournissait 53,5 % des fonds du mouvement.
La Campagne européenne de la jeunesse, une émanation du Mouvement européen, était entièrement financée et contrôlée par Washington. Le directeur belge, le baron Boel, recevait des paiements mensuels sur un compte spécial. Lorsque le chef du Mouvement européen, Joseph Retinger, d’origine polonaise, s’est insurgé contre ce degré de contrôle américain et a tenté de lever des fonds en Europe, il a rapidement été réprimandé.
Les dirigeants du Mouvement européen – Retinger, le visionnaire Robert Schuman et l’ancien Premier ministre belge Paul-Henri Spaak – étaient tous traités comme des employés par leurs sponsors américains. Le rôle des États-Unis était géré comme une opération secrète. Le financement de l’ACUE provenait des fondations Ford et Rockefeller ainsi que de groupes d’affaires très liés au gouvernement américain.
Le président de la Fondation Ford, l’ancien officier de l’OSS Paul Hoffman, était également chef de l’ACUE à la fin des années 1950. Le département d’État joua aussi un rôle. Une note de la section européenne, datée du 11 juin 1965, conseille au vice-président de la Communauté économique européenne, Robert Marjolin, de poursuivre l’union monétaire discrètement.
Il est recommandé de supprimer le débat jusqu’au moment où « l’adoption de telles propositions deviendrait pratiquement inévitable ».
🔗L’Union européenne fait partie du plan d’hégémonie des États-Unis

Les partisans du Brexit auraient dû s’attendre à l’intervention fracassante des États-Unis. L’Union européenne a toujours été un projet américain.
C’est Washington qui a poussé à l’intégration européenne à la fin des années 1940 et l’a financée secrètement sous les administrations Truman, Eisenhower, Kennedy, Johnson et Nixon.

Bien que parfois irrités, les États-Unis comptent depuis toujours sur l’UE comme pilier de leurs intérêts régionaux, aux côtés de l’OTAN.
Il n’y a jamais eu de stratégie de division.
Le camp eurosceptique a curieusement été aveugle à cela, s’imaginant que de puissantes forces de l’autre côté de l’Atlantique encouragent la sécession britannique et les acclameront comme des libérateurs.
Le mouvement anti-Bruxelles en France – et dans une moindre mesure en Italie et en Allemagne, ainsi que dans la gauche nordique – part du principe opposé, à savoir que l’UE est essentiellement un instrument du pouvoir anglo-saxon et du « capitalisme sauvage ».
Marine Le Pen, en France, est ouvertement anti-américaine. Elle fustige la suprématie du dollar. Son Front National s’appuie sur des financements de banques russes liées à Vladimir Poutine.
Qu’on l’aime ou non, cela a au moins une cohérence stratégique.
La Déclaration Schuman qui a posé les bases de la réconciliation franco-allemande – et a conduit progressivement à la Communauté européenne – a été conçue par le secrétaire d’État américain Dean Acheson lors d’une réunion à Foggy Bottom. « Tout a commencé à Washington », disait le chef de cabinet de Robert Schuman.
C’est l’administration Truman qui a forcé les Français à trouver un modus vivendi avec l’Allemagne dans les premières années d’après-guerre, allant jusqu’à menacer de couper le plan Marshall lors d’une réunion houleuse avec les dirigeants français récalcitrants en septembre 1950.

La motivation de Truman était évidente. Le règlement de Yalta avec l’Union soviétique était en train de s’effondrer. Il voulait un front uni pour dissuader le Kremlin de toute nouvelle expansion après l’annexion de la Tchécoslovaquie par Staline, et d’autant plus après que la Corée du Nord communiste eut franchi le 38e parallèle pour envahir le Sud.
Pour les eurosceptiques britanniques, Jean Monnet occupe une place centrale dans le panthéon fédéraliste, l’éminence grise du supranationalisme. Peu savent qu’il a passé une grande partie de sa vie en Amérique, servant de relais à Franklin Roosevelt pendant la guerre.
Le général Charles de Gaulle le considérait comme un agent américain, ce qu’il était effectivement d’une certaine manière. La biographie de Monnet par Éric Roussel révèle combien il a travaillé main dans la main avec les différentes administrations américaines.

Il est curieux que cette étude magistrale de 1000 pages n’ait jamais été traduite en anglais alors qu’elle reste la meilleure référence sur les origines de l’UE.
Peu savent également que des documents déclassifiés du département d’État montrent que le renseignement américain a financé secrètement le mouvement européen pendant des décennies et a poussé activement le Royaume-Uni à s’engager dans le projet.
Comme ce journal l’a rapporté pour la première fois à la publication de ces archives, un mémorandum daté du 26 juillet 1950 révèle une campagne en faveur d’un parlement européen pleinement constitué. Il est signé par le général William J Donovan, chef de l’OSS, précurseur de la CIA.
La principale vitrine de la CIA était l’American Committee for a United Europe (ACUE), présidé par Donovan. Un autre document montre qu’il a fourni 53,5% des fonds du Mouvement européen en 1958. Le conseil comprenait Walter Bedell Smith et Allen Dulles, directeurs de la CIA dans les années 1950, ainsi qu’une caste d’anciens responsables de l’OSS ayant rejoint la CIA.

Les documents montrent que certains « pères fondateurs » de l’UE étaient traités en salariés, et qu’on leur interdisait activement de trouver des financements alternatifs qui auraient rompu leur dépendance à Washington.
Il n’y a rien de particulièrement répréhensible à cela. Les États-Unis ont agi habilement dans le contexte de la guerre froide. La reconstruction politique de l’Europe fut un succès éclatant.
Il y a eu bien sûr de graves erreurs de jugement. Une note du 11 juin 1965 demande au vice-président de la Communauté européenne de poursuivre l’union monétaire discrètement, en supprimant le débat jusqu’à ce que « l’adoption de telles propositions devienne pratiquement inévitable ». C’était sans doute trop subtil, comme on le constate aujourd’hui à travers les pièges de la déflation par la dette et le chômage massif dans le sud de l’Europe.
En un sens, ces documents relèvent de l’histoire ancienne. Ils montrent que le « deep state » américain était impliqué jusqu’au cou. On peut débattre de savoir si Boris Johnson a franchi la ligne rouge la semaine dernière en évoquant les « origines kényanes » du président Barack Obama, mais l’erreur fondamentale était de supposer que la menace commerciale d’Obama avait un lien avec les épreuves de son grand-père dans un camp de prisonniers Mau Mau. Il s’agissait simplement de la politique étrangère américaine classique.
En l’occurrence, M. Obama aurait pu ressentir de l’amertume au vu des abus révélés récemment sur la répression des Mau Mau. Ce fut une faillite honteuse de la discipline policière coloniale, au grand désarroi des anciens fonctionnaires ayant servi ailleurs en Afrique. Mais le message de son livre extraordinaire – ‘Dreams From My Father’ – est qu’il cherche à dépasser les rancœurs historiques.
Les partisans du Brexit se réjouissent que le républicain Ted Cruz veuille qu’une Grande-Bretagne post-Brexit « passe en tête de file pour un accord de libre-échange », mais il s’agit là d’un effet d’annonce de campagne. M. Cruz se conformera aux impératifs palmerstoniens[2] de Washington – quels qu’ils soient à ce moment-là – s’il accède un jour à la Maison-Blanche.

Il est vrai que l’Amérique a commencé à douter de l’UE lorsque des fanatiques idéologiques ont pris le dessus à la fin des années 1980, transformant l’union en superpuissance rivale désireuse de défier et de surpasser les États-Unis.
John Kornblum, chef des affaires européennes au département d’État dans les années 1990, raconte combien il était cauchemardesque de traiter avec Bruxelles. « J’ai fini totalement frustré. Dans les domaines militaire, de la sécurité et de la défense, c’est totalement dysfonctionnel. »
M. Kornblum estime que l’UE a « quitté psychologiquement l’OTAN » lorsqu’elle a tenté de mettre en place sa propre structure de commandement militaire, toujours avec ses postures et son incompétence habituelles. « La Grande-Bretagne et l’Occident se porteraient bien mieux si le Royaume-Uni n’était pas dans l’UE », dit-il.
C’est une opinion intéressante mais minoritaire dans les cercles politiques américains. La frustration s’est dissipée lorsque la Pologne et la première vague d’États d’Europe de l’Est ont rejoint l’UE en 2004, apportant une troupe de gouvernements atlantistes.
On le sait, ce n’est pas une histoire d’amour. Un haut responsable américain a été surpris il y a deux ans lors d’une écoute téléphonique disant, à propos de Bruxelles et de la crise ukrainienne, ces mots lapidaires : « fuck the EU ».
Pourtant, la vision dominante est que l’ordre libéral occidental subit aujourd’hui une triple attaque, et que l’UE doit être soutenue, tout comme la Grande-Bretagne et la France ont soutenu l’Empire ottoman vacillant au XIXe siècle – et heureusement, puisque son effondrement progressif a directement mené à la Première Guerre mondiale.
Les menaces d’aujourd’hui viennent à la fois du terrorisme djihadiste et d’une série d’États faillis au Maghreb et au Levant ; d’un régime paria hautement militarisé à Moscou, bientôt à court d’argent mais profitant d’une fenêtre avant le réarmement européen ; et d’une crise extrêmement dangereuse en mer de Chine méridionale qui s’aggrave chaque jour, Pékin testant la solidité des alliances américaines.
Les dangers venant de la Russie et de la Chine sont bien sûr liés. Il est probable – les pessimistes diraient certain – que Vladimir Poutine saisirait la moindre explosion sur la zone Pacifique pour tenter sa chance en Europe. Aux yeux de Washington, d’Ottawa, de Canberra, et de toutes les capitales qui voient dans la Pax Americana un atout, ce n’est pas le moment pour le Royaume-Uni de lancer une charge de dynamite dans l’édifice branlant de l’Europe.
La triste vérité pour la campagne du Leave, c’est que l’ensemble de l’establishment occidental considère le Brexit comme un acte de vandalisme stratégique. Justement ou non, les Brexiteurs doivent répondre à ce reproche. Quelques-uns, comme Lord Owen, mesurent l’ampleur du problème. La plupart semblaient l’ignorer jusqu’à l’arrivée de M. Obama la semaine dernière.
À mon avis, le camp du Brexit devrait proposer d’augmenter de moitié les dépenses de défense du Royaume-Uni – jusqu’à 3 % du PIB – et s’engager à propulser le pays comme première puissance militaire d’Europe. Ils devraient viser à resserrer encore davantage l’alliance sécuritaire avec la France. De telles mesures désamorceront au moins l’un des principaux arguments du « Projet Peur ».
Les Brexiteurs devraient balayer toute suggestion selon laquelle quitter l’UE signifierait se désengager du monde, ou tourner le dos à la Convention européenne (cette Magna Carta de la liberté, rédigée par les Britanniques et non liée à l’UE), ou aux accords climatiques de la COP21, ou à toute autre lubie du mouvement.
Il est sans doute illusoire d’attendre un plan cohérent d’un groupe aussi disparate, rassemblé artificiellement par les circonstances. Pourtant, beaucoup d’entre nous, sympathisants du Brexit, qui voulons aussi reprendre notre souveraineté et échapper à la suprématie contestable de la Cour de justice européenne, n’ont pas encore entendu comment les Brexiteurs pensent que cette extraction pourrait avoir lieu sans dégâts collatéraux majeurs et dans le respect de l’honneur du pays.
On peut se disputer avec l’Europe, ou avec les États-Unis, mais il serait imprudent de s’opposer à tout le monde démocratique en même temps.