La route de la servitude - Chapitre III
🔗Chapitre III — Individualisme et collectivisme
Les socialistes croient à deux choses qui sont absolument différentes et peut-être contradictoires : la liberté et l’organisation.
— Élie Halévy
Avant de faire avancer notre problème principal, nous avons encore un obstacle à surmonter. Il nous faut éclaircir une confusion qui est en grande partie responsable de la façon dont nous dérivons vers un état de choses que personne ne souhaite.
La confusion porte sur rien moins que le concept même de socialisme. Ce terme peut signifier, et sert souvent à définir simplement les idéaux de justice sociale, d’égalité et de sécurité accrues qui sont les fins dernières du socialisme. Mais il signifie aussi la méthode particulière par laquelle la plupart des socialistes espèrent atteindre ces fins, et que bien des gens compétents considèrent comme les seules méthodes par lesquelles elles puissent être pleinement et rapidement atteintes. Dans cette acception, le mot socialisme signifie abolition de l’entreprise privée, de la propriété privée des moyens de production, et création d’un système d’« économie planifiée » où le chef d’entreprise travaillant pour un profit est remplacé par un organisme planificateur central.
Il y a beaucoup de gens qui se donnent à eux-mêmes le nom de socialistes et qui ne se soucient que de la première acception du mot socialisme. Ils croient avec ferveur à ces fins dernières du socialisme, mais ne veulent ni ne peuvent comprendre par quels moyens elles pourront être atteintes. Ils se contentent d’être sûrs qu’il faut les atteindre à tout prix. Mais pour tous ceux pour qui le socialisme est non seulement un espoir mais encore un objet de politique pratique, les méthodes caractéristiques du socialisme moderne sont aussi essentielles que les fins elles-mêmes. D’autre part, bien des gens qui n’apprécient pas moins que les socialistes les fins dernières du socialisme refusent d’appuyer ce dernier à cause des dangers que les méthodes proposées par les socialistes font courir à d’autres valeurs. La controverse sur le socialisme est ainsi devenue en grande partie une controverse sur les moyens et non sur les fins, bien que la question de savoir si les différentes fins du socialisme peuvent être atteintes simultanément se pose en même temps.
Cela suffirait à créer de la confusion. Et la confusion s’est encore aggravée du fait que l’on accuse communément ceux qui refusent les moyens de mépriser les fins. Ce n’est pas tout. La situation se complique encore du fait que les mêmes moyens, le « planisme économique » qui est le premier instrument de réforme socialiste, peuvent être utilisés à beaucoup d’autres fins. Il nous faut une direction centrale de l’activité économique si nous voulons rendre la distribution des revenus conforme aux idées courantes sur la justice sociale. C’est pourquoi le « planisme » est demandé par tous ceux qui exigent la substitution de la « production pour la consommation » à la production pour le profit. Mais ce planisme est tout aussi indispensable si l’on veut réglementer la répartition des revenus d’une manière qui nous paraît être à l’opposé de la justice. Que nous souhaitions donner davantage des biens de ce monde à une élite raciale, les Nordiques, ou aux membres d’un parti ou d’une aristocratie, les méthodes que nous aurons à employer seront les mêmes que celles qui pourraient permettre une distribution égalitaire.
Il peut paraître injuste d’employer le mot socialisme pour définir ces méthodes plutôt que ses fins, d’appliquer à une méthode particulière un terme qui, pour beaucoup de gens, sert à désigner un idéal suprême. Il vaut peut-être mieux définir les méthodes qui peuvent être employées à un grand nombre de fins diverses par le terme de collectivisme, et considérer le socialisme comme une variété du genre. Cependant, quoique la plupart des socialistes n’admettent pour vrai qu’un seul genre de collectivisme, n’oublions jamais que le socialisme est une variété de collectivisme, et qu’à ce titre tout ce qui est vrai du collectivisme s’applique aussi au socialisme. Presque toutes les controverses entre socialistes et libéraux portent sur les méthodes communes à toutes les formes de collectivisme et non sur les fins particulières en vue desquelles les socialistes veulent les appliquer ; et toutes les conséquences dont nous traiterons dans cet ouvrage proviennent des méthodes du collectivisme quelles que soient les fins envisagées. N’oublions pas non plus que le socialisme n’est pas seulement la plus importante de toutes les variétés de collectivisme ou de « planisme » ; c’est aussi le socialisme qui a persuadé des esprits libéraux de se soumettre une fois de plus à cette réglementation de la vie économique qu’ils avaient renversée parce que, comme l’a dit Adam Smith, elle met les gouvernements dans une situation où, pour vivre, ils sont obligés d’être oppresseurs et tyranniques[1].
Les difficultés dues aux ambiguïtés d’une terminologie politique commune ne disparaissent pas si nous convenons d’inclure dans le collectivisme tous les genres d’« économie planifiée », quel que soit le but du plan. Le sens de ce terme se précise quelque peu si nous expliquons que nous entendons par là le genre de planisme nécessaire à la réalisation d’un certain idéal de distribution. Mais, comme l’idée du planisme économique centralisé doit son attrait en grande partie à son imprécision même, il est essentiel de s’entendre sur son sens précis avant d’en discuter les conséquences.
Le « planisme » doit sa popularité en grande partie au fait que chacun désire que nous traitions nos problèmes communs le plus rationnellement possible, et que ce faisant nous nous montrions aussi prévoyants que nous pouvons l’être. En ce sens, tout homme qui n’est pas totalement fataliste est un planiste, tout acte politique est (ou devrait être) un acte de planisme, et il ne peut y avoir de différence qu’entre plans bons ou mauvais, sages et prévoyants ou stupides et à courte vue. Un économiste, dont le métier consiste à étudier comment les hommes font et pourraient faire le plan de leurs activités, est le dernier à pouvoir objecter quelque chose au planisme dans ce sens général. Mais ce n’est pas dans ce sens-là que nos planistes enthousiastes l’emploient aujourd’hui. Ce n’est pas non plus simplement dans ce sens que nous devons faire des plans si nous voulons conformer la répartition des richesses ou des revenus à un modèle déterminé. D’après les planistes modernes, et selon leurs desseins, il ne suffit pas de tracer le cadre permanent le plus rationnel à l’intérieur duquel les individus se livreraient à leurs activités conformément à leurs plans personnels. Ce plan libéral, selon eux, n’en est pas un, et en effet ce n’est pas un plan conçu pour réaliser un idéal de distribution déterminé. Ce que nos planistes exigent, c’est la direction centraliste de toute l’activité économique conformément à un plan unique, exposant comment les ressources de la société doivent être « consciemment dirigées » pour atteindre d’une manière déterminée un but déterminé.
La controverse entre les planistes modernes et leurs adversaires n’est donc pas une controverse sur la question de savoir si nous devons choisir intelligemment entre les diverses organisations de la société possibles ; il ne s’agit pas de savoir si nous devons faire preuve de prévoyance et penser systématiquement en faisant le plan de nos activités communes. La controverse porte sur le meilleur moyen de le faire. La question qui se pose, c’est de savoir si, dans ce but, il vaut mieux que le gouvernement se borne à créer des conditions offrant les meilleures chances aux connaissances et à l’initiative des individus, en sorte de leur permettre, à eux individus, de faire les meilleurs plans possibles ; ou si l’utilisation rationnelle de nos ressources requiert une direction et une organisation centrales de toutes nos activités, conformément à une épure délibérément élaborée. Les socialistes de tous les partis ont adopté cette dernière définition du mot planisme, et cette acception est maintenant généralement admise. Cette interprétation tend à suggérer que c’est là le seul moyen rationnel de mener nos affaires, mais elle ne suffit naturellement pas à le prouver. C’est là que planistes et libéraux sont aux prises.
Il est important de ne pas confondre l’opposition à cette sorte de planisme avec une attitude de laissez-faire dogmatique. Le libéralisme veut qu’on fasse le meilleur usage possible des forces de la concurrence en tant que moyen de coordonner les efforts humains ; il ne veut pas qu’on laisse les choses en l’état où elles sont. Le libéralisme est basé sur la conviction que la concurrence est le meilleur moyen de guider les efforts individuels. Il ne nie pas, mais souligne au contraire que pour que la concurrence puisse jouer un rôle bienfaisant, une armature juridique soigneusement conçue est nécessaire ; il admet que les lois passées et présentes ont de graves défauts. Il ne nie pas non plus que partout où il est impossible de rendre la concurrence efficace, il nous faut recourir à d’autres méthodes pour guider l’activité économique. Toutefois le libéralisme économique est opposé au remplacement de la concurrence par des méthodes inférieures de coordination des efforts humains. Il considère la concurrence comme supérieure non seulement parce qu’elle est dans la plupart des circonstances la méthode la plus efficace qu’on connaisse, mais plus encore parce qu’elle est la seule méthode qui permette d’ajuster nos activités les unes aux autres sans intervention arbitraire ou coercitive de l’autorité. En vérité, un des arguments principaux en faveur de la concurrence est qu’elle permet de se passer de « contrôle social conscient » et qu’elle donne aux individus une chance de décider si les perspectives d’un métier donné sont suffisantes pour compenser les désavantages et les risques qu’il comporte.
L’usage efficace de la concurrence en tant que principe d’organisation sociale exclut certains types d’intervention coercitive dans la vie économique, mais il en admet certains autres qui peuvent parfois l’aider considérablement, et exige même certains genres d’action gouvernementale. Mais c’est à juste titre que les exigences négatives, les points sur lesquels la coercition ne doit pas être employée, ont été spécialement soulignés. Il est nécessaire avant tout que, sur le marché, les parties soient libres d’acheter ou de vendre au prix, quel qu’il soit, auxquels elles peuvent trouver une contrepartie, et que chacun soit libre de produire, de vendre et d’acheter tout ce qui est susceptible d’être produit ou vendu. Il est essentiel que l’accès des divers métiers soit ouvert à tous aux mêmes conditions, et que la loi interdise à tout groupement et à tout individu de tenter de s’y opposer par la force, ouvertement ou non. Tout essai de contrôle des prix ou des quantités de certaines marchandises prive la concurrence de son pouvoir de coordonner efficacement les efforts individuels, parce que les variations des prix cessent alors d’enregistrer toutes les modifications des circonstances, et ne fournissent plus un guide sur à l’action individuelle.
Toutefois, cela n’est pas nécessairement vrai de mesures qui se contentent de restreindre les méthodes de production tant que ces restrictions frappent également tous les producteurs en puissance, et ne sont pas utilisées comme un moyen indirect de contrôler les prix et les quantités. Les mesures de contrôle des méthodes de production augmentent évidemment les prix de revient, mais elles valent parfois la peine d’être prises. Interdire l’usage de substances toxiques, ou exiger des précautions spéciales pour leur utilisation, limiter les heures de travail ou prescrire certaines installations sanitaires, voilà qui est pleinement compatible avec la préservation de la concurrence. La seule question qui se pose à ce sujet est celle de savoir si les avantages ainsi procurés sont plus grands que les dépenses sociales qu’ils entraînent. La préservation de la concurrence n’est pas davantage incompatible avec un vaste système de services sociaux — tant que l’organisation de ces services n’est pas conçue pour rendre la concurrence inopérante.
Il est regrettable, mais facile à expliquer, que dans le passé on ait accordé plus d’attention à ces points négatifs qu’aux exigences positives d’un système efficace de concurrence. Le fonctionnement de la concurrence ne requiert pas seulement l’organisation adéquate d’institutions comme la monnaie, les marchés, l’information — dont certaines ne peuvent jamais être assurées de façon satisfaisante par l’entreprise privée — mais il dépend avant tout de l’existence d’un système juridique approprié, conçu à la fois pour préserver la concurrence et la rendre la plus bienfaisante possible. Il ne suffit nullement que la loi reconnaisse le principe de la propriété privée et de la liberté des contrats ; beaucoup de choses dépendent de la précision avec laquelle est défini le droit de propriété s’appliquant à des objets différents. L’étude systématique de la forme des institutions juridiques qui permettent un fonctionnement efficace de la concurrence a malheureusement été négligée ; il y a de ce côté de sérieuses défectuosités, en particulier en ce qui concerne les lois sur les sociétés et sur les brevets, qui non seulement ont entravé le jeu de la concurrence, mais encore l’ont détruite en bien des domaines.
Il y a enfin des terrains sur lesquels aucune disposition juridique ne saurait créer la condition principale dont dépend l’efficacité du système de concurrence et de propriété privée ; à savoir que le propriétaire profite de tous les services rendus par sa propriété et souffre de tous les dommages causés à autrui par son usage. Lorsqu’il est impossible de faire payer certains services, la concurrence ne les créera pas. Le système des prix devient inopérant lorsque le dommage causé à autrui par certains usages de la propriété ne peut être mis à la charge du propriétaire.
Dans tous ces cas il y a une divergence entre les éléments qui entrent dans les calculs individuels et ceux qui affectent le bien-être social ; et chaque fois que cette divergence devient importante, il faut peut-être imaginer une autre méthode que la concurrence pour fournir les services en question. Ainsi ni les poteaux indicateurs, ni la plupart du temps les routes elles-mêmes ne peuvent être payées par chaque usager. De même, ni les effets funestes du déboisement, de certaines méthodes agricoles, de la fumée ou du bruit des usines ne peuvent être réservés aux propriétaires intéressés ni à ceux qui sont disposés à en subir le dommage en échange d’une compensation. Dans ces cas-là, il nous faut imaginer quelque chose qui remplace le mécanisme des prix. Il faut, certes, faire intervenir l’autorité chaque fois qu’il est impossible de faire fonctionner la concurrence ; mais cela ne prouve pas qu’il faille supprimer la concurrence quand on peut la faire fonctionner. L’État possède donc un domaine d’activité vaste et incontestable : créer les conditions dans lesquelles la concurrence sera la plus efficace possible, la remplacer là où elle ne peut être efficace, fournir les services qui, comme l’a dit Adam Smith, « tout en présentant les plus grands avantages pour une collectivité importante, sont toutefois d’une nature telle que le profit ne saurait en rembourser le coût à aucun individu ou petit groupe d’individus ». Il n’y a pas de système rationnellement soutenable dans lequel l’État ne ferait rien. Un système compétitif efficace nécessite tout autant qu’un autre une armature juridique intelligemment conçue et constamment adaptée. La plus essentielle des conditions préalables de son bon fonctionnement, à savoir la prévention de la fraude et de la tromperie (y compris l’exploitation de l’ignorance), fournit à l’activité législative une tâche considérable et nullement encore achevée.
Les États n’avaient pas fait grand-chose pour créer une armature juridique appropriée au bon fonctionnement de la concurrence au moment où ils ont commencé un peu partout à la remplacer par un principe différent et inconciliable avec elle. Il ne s’agissait plus de faire fonctionner la concurrence et d’y ajouter ce qui lui manquait, mais de la supprimer entièrement. C’est une chose qu’il faut établir très clairement : le mouvement moderne en faveur du planisme est un mouvement dirigé contre la concurrence en tant que telle ; un nouveau drapeau auquel se sont ralliés tous les vieux ennemis de la concurrence. Toute sorte d’intérêts essaient aujourd’hui de rétablir sous ce drapeau des privilèges que l’ère libérale avait balayés ; mais c’est la propagande socialiste en faveur du planisme qui a remis en honneur chez les esprits libéraux l’opposition à la concurrence, et qui a étouffé les soupçons vigoureux que toute tentative faite pour brimer la concurrence provoquait auparavant[2]. Ce qui unit en fait les socialistes de gauche et de droite est cette hostilité commune à la concurrence, c’est leur désir commun de la remplacer par une économie dirigée. Les mots capitalisme et socialisme sont toujours généralement utilisés pour désigner la société d’hier et celle de demain, ils dissimulent plutôt qu’ils n’élucident la nature de la transition que nous traversons.
Cependant, bien que toutes les transformations que nous observons tendent vers une direction totale et centralisée de l’activité économique, la lutte universelle contre la concurrence promet de donner avant tout un résultat à beaucoup d’égards encore pire, un état de choses qui ne peut satisfaire ni les planistes ni les libéraux, à savoir une sorte d’organisation syndicaliste ou « corporative » de l’industrie, dans laquelle la concurrence est plus ou moins supprimée, mais où le soin de faire les plans est livré aux mains des monopoles indépendants dans chaque industrie. C’est là l’inévitable premier résultat d’une situation dans laquelle les gens sont unis pour détester la concurrence, mais ne s’accordent pas sur grand-chose d’autre. En détruisant la concurrence dans une industrie après l’autre, cette politique met le consommateur à la merci des monopoles capitalistes et ouvriers dans les industries les mieux organisées. C’est un état de choses qui existe déjà depuis un certain temps dans de vastes domaines, et une grande partie de l’agitation planiste se propose de l’atteindre ; mais cet état de choses ne durera probablement pas et ne saurait être justifié rationnellement. Le planisme indépendant exercé par les monopoles industriels produirait en fait des effets opposés à ceux que vise l’argumentation planiste. Ce stade une fois atteint, il n’y a plus qu’à revenir à la concurrence ou à soumettre les monopoles au contrôle de l’État. Contrôle qui, pour être efficace, doit de plus en plus s’étendre et entrer dans les détails. C’est de ce stade que nous nous rapprochons rapidement. Peu avant la guerre, un hebdomadaire fit observer que « les dirigeants britanniques s’habituent à penser en termes de développement national assuré par des monopoles contrôlés ». Depuis, le processus a été grandement accéléré par la guerre, et ses effets et ses dangers deviendront de plus en plus évidents avec le temps.
L’idée d’une centralisation complète de la direction de l’activité économique épouvante encore la plupart des gens, non seulement à cause de la formidable difficulté de la tâche, mais plus encore à cause de l’horreur qu’inspire toute idée de direction centralisée. Si néanmoins nous nous rapprochons rapidement de cet état de choses, c’est parce que la plupart des gens continuent à croire qu’on doit pouvoir trouver un moyen terme entre la concurrence corpusculaire et la direction centralisée. En fait, rien ne paraît à première vue plus plausible, et rien ne saurait plaire davantage aux gens raisonnables, que l’idée de rechercher non pas l’extrême décentralisation de la libre concurrence, ni la centralisation totale du plan unique, mais une combinaison judicieuse des deux méthodes. Et pourtant le bon sens est un mauvais guide en cette matière. La concurrence peut supporter une certaine dose de réglementation, mais elle ne saurait être alliée au planisme dans la mesure où nous le voudrions sans cesser de guider efficacement la production. Et le planisme n’est pas un remède qui, pris à petites doses, puisse produire les résultats qu’on attendrait de son application totale. La concurrence et la direction centraliste deviennent de très mauvais instruments si elles ne sont pas complètes ; il faut choisir entre les deux pour résoudre un même problème, et le mélange signifie qu’aucune des deux méthodes ne sera efficace, et que le résultat sera pire que si l’on s’était contenté de l’une ou de l’autre. Ou bien, en d’autres termes, on ne peut combiner planisme et concurrence qu’en faisant des plans pour la concurrence, mais non pas contre elle.
Nous tenons beaucoup à ce que notre lecteur n’oublie pas que le planisme que nous critiquons est uniquement le planisme contre la concurrence, celui qui veut se substituer à la concurrence. C’est d’autant plus important que nous ne saurions, dans le cadre de cet ouvrage, discuter du planisme indispensable au fonctionnement le plus efficace et le plus bienfaisant possible de la concurrence. Mais comme dans l’usage courant le mot « planisme » désigne presque exclusivement le planisme dirigé contre la concurrence, nous l’utiliserons dans ce sens, dussions-nous abandonner à nos adversaires un terme excellent qui mérite un meilleur sort.
🔗Notes de bas de page
Source.
Cité dans le Memoir of Adam Smith de Dugald Stewart d’après un memorandum écrit par Smith en 1755. ↩︎
Récemment, il est vrai, certains socialistes académiques, sous l’aiguillon de la critique, et animés par la même crainte de voir la liberté disparaître dans une société planifiée, ont inventé une nouvelle espèce de « socialisme à concurrence » qui, espèrent-ils, évitera les difficultés et les dangers du planisme centralisé et alliera l’abolition de la propriété privée avec la pleine conservation de la liberté individuelle. Cette nouvelle espèce de socialisme a été quelque peu discutée dans des revues savantes, il n’est guère probable qu’elle soit adoptée par les praticiens de la politique. Si elle y parvenait jamais, il ne serait pas difficile de montrer (comme l’auteur l’a tenté par ailleurs, cf. Economica, 1940) que ces plans reposent sur une illusion et souffrent d’une contradiction interne. Il est impossible de contrôler toutes les ressources productives sans décider aussi pour qui et par qui elles seront utilisées. Ce « socialisme à concurrence » prévoit que le planisme de l’autorité centrale prendra des formes indirectes, mais ses effets ne sauraient être essentiellement différents et l’élément de concurrence ne serait guère plus qu’une comédie. ↩︎